Le transfert de l'entreprise à la prochaine génération n'est pas une mince affaire. Plusieurs de ces transferts ne connaissent pas une fin heureuse, et ce, pour une multitude de raisons, à la fois au niveau humain, financier ou fiscal. Pourquoi ne pas mettre toutes les chances de son côté afin d'assurer une transition harmonieuse?

1Positionnement de l'entreprise - le gel

Le transfert intergénérationnel se fera habituellement de façon graduelle sur une période plus ou moins longue. Toutefois, il n'est jamais trop tôt pour positionner l'entreprise et son actionnariat en vue d'une transition éventuelle. Le gel est l'instrument privilégié pour assurer un tel positionnement. Il s'agit de tracer une ligne entre le passé et l'avenir.

Dans le cadre du gel, l'entrepreneur pourra cristalliser sa participation dans l'entreprise et répartir comme bon lui semble la participation économique future de tous et chacun dans l'entreprise. Quant au contrôle légal, il pourra le conserver pour lui ou encore le répartir entre les membres de sa famille, ou tout autre bénéficiaire du gel, par exemple, un employé-clé.

Le gel en faveur d'une fiducie familiale discrétionnaire devrait être envisagé, car cette stratégie répond habituellement à l'ensemble des objectifs recherchés par l'entrepreneur.

2Ancienne technique de gel : participation directe des enfants

Historiquement, l'opération de gel s'effectuait de la façon suivante : M. PME, le propriétaire des actions de la compagnie opérante, approchait de l'âge de la retraite et jugeait qu'il avait accumulé assez de valeur pour ses vieux jours.

Il convertissait alors ses actions ordinaires en actions privilégiées dont la valeur était fixée à la valeur des actions ordinaires lors de l'échange. Les enfants de M. PME souscrivaient alors aux nouvelles actions ordinaires dans les proportions voulues.

Cette technique comportait deux désavantages majeurs. D'une part, si les calculs de M. PME s'avéraient inexacts et que la valeur des actions privilégiées émises lors du gel s'avérait insuffisante pour assurer son train de vie jusqu'au décès, il devait s'entendre avec ses enfants pour s'assurer d'un revenu de remplacement.

D'autre part, le fait que les enfants souscrivaient directement au capital de la compagnie faisait en sorte que des choix définitifs devaient être faits, souvent prématurément, quant à la transmission de l'entreprise.

3Technique de gel par le biais d'une fiducie familiale

Une autre technique de gel, plus efficace et plus souple, s'est popularisée avec l'entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec en 1994. Ce nouveau code prévoyait notamment de nouvelles règles concernant les fiducies, reprenant pour plusieurs les règles en vigueur dans les provinces de Common Law. Cela a donné aux professionnels québécois les bases juridiques et la confiance nécessaires à la mise en place de telles entités de façon plus généralisée.

Dans le cadre d'un gel, la fiducie familiale est le véhicule privilégié pour souscrire aux actions ordinaires de votre compagnie opérante en lieu et place des membres de votre famille. La fiducie est en quelque sorte un holding familial, mais sous une forme juridique différente d'un holding corporatif et obéissant à des règles fiscales propres.

De plus, la fiducie est un instrument très souple en ce que, de façon gérérale, le fiduciaire (vous) a l'entière discrétion de déterminer les parts de chaque bénéficiaire économique, à la fois dans le revenu et dans le capital, et ce, sujet à changement à tout moment.

Cette technique permet également de conserver le contrôle total de son entreprise, tant au niveau du contrôle légal qu'au niveau économique, permettant ainsi de reporter les décisions finales quant à la transmission de l'entreprise à la prochaine génération, à un moment de votre choix, y compris jusqu'à votre décès.

4Vente des actions

Il est également possible de procéder à la vente d'une partie ou de la totalité de vos actions dans la société en faveur de votre enfant. Ainsi, si vous souhaitez intéresser votre enfant à hauteur de 10% et que votre société a une valeur de 2 000 000$, la vente de 10% de vos actions vous fera réaliser un gain en capital (assumant un coût nul) de 200 000$.

En présumant que les conditions d'application sont par ailleurs rencontrées, il se peut que vous puissiez bénéficier de la déduction pour gain en capital de 800 000$ (indexation annuelle) lors de la disposition des actions à votre enfant. Cela suppose toutefois qu'il ait accès à un montant en capital ou qu'il puisse emprunter les fonds personnellement afin de vous payer.

Le financement peut également se faire à même la profitabilité de l'entreprise. Ainsi, votre enfait pourrait acquérir les actions par le biais d'une société de portefeuille, laquelle pourrait vous rembourser le prix de vente sur une certaine période de temps en utilisant les dividendes versés annuellement sur les actions acquises. Dans ce cas, toutefois, vous ne pourrez profiter de l'exonération pour gain en capital. En effet, la loi traite défavorablement la vente des actions à un membre de la famille en comparaison avec une vente à un tiers.

5Exemples pratiques

Transfert intergénérationnel via une fiducie

M. PME souhaite impliquer ses enfants dans l'entreprise familiale dans le but d'un jour la leur transmettre. Ce dernier évalue la valeur de son entreprise à ± 2 000 000$. M. PME convertit ses actions ordinaires en actions privilégiées ayant une valeur de rachat de 2 000 000$. La Fiducie Famille PME souscrit aux actions ordinaires de la société opérante pour une somme nominale (100$). Ainsi, les actions détenues personnellement par M. PME cessent de prendre de la valeur.

La plus-value future d'Opco s'accumule au profit de la fiducie dont M. PME conserve le contrôle par son rôle de fiduciaire. M. PME peut remettre à tout moment à l'un ou l'autre de ses enfants une partie ou la totalité des actions détenues par la fiducie. Cette remise constitue pour le ou les enfants une attribution de capital libre d'impôt.

M. PME peut ainsi reporter indéfiniment la décision de la transmission ultime de l'entreprise, à la limite, jusqu'à son décès.

Transfert intergénérationnel par vente des actions

M. PME souhaite impliquer un de ses enfants dans l'entreprise familiale dans le but de la lui transmettre un jour. Ce dernier évalue la valeur de son entreprise à ± 2 000 000$. M. PME souhaite disposer de 30% de ses actions ordinaires en faveur d'un de ses enfants pour une contrepartie de 600 000$. Dans la mesure où l'enfant de M. PME a en main cette somme ou a la capacité de l'emprunter, il pourrait alors acheter les actions directement de son père, lequel pourra bénéficier de l'exonération de gain en capital et ainsi recevoir le produit de disposition libre d'impôt.

Dans le cas contraire, l'enfant de M. PME devra acquérir les actions via une société de portefeuille, laquelle pourra rembourser le prix de vente à M. PME sur une certaine période de temps en utilisant les dividendes versés annuellement sur les actions acquises.

Toutefois, M. PME ne pourra alors bénéficier de l'exonération de gain en capital (art. 84.1 L.I.R.) et sera ainsi redevable d'un impôt sur le gain en capital de ± 25%.